Pour une culture vélo
Pierre-Luc Vacher - 18/03/09
Ma question à une professionnelle de l'art contemporain
Question

(...) Je salue le fait que grâce au vélo partage, de plus en plus de personnes utilisent des vélos. Mais je pense que le vélo s'est développé chez ceux qui étaient déjà prêts. Or pour passer à l'étape supérieure (que certains automobilistes, qui le peuvent, passent au vélo) je soutiens que le vélo doit se montrer plus désirable, c'est-à-dire qu'on ait plus envie d'avoir et de faire du vélo en ville que de prendre sa voiture.
Pensez-vous que le design pourrait jouer ce rôle, ou est-ce que ce sera seulement l'affaire de la démarche marketing/publicitaire qui ferait qu'on ait envie de faire du vélo parce qu'untel en fait, ou qu'on le voit dans un film ou sur des affiches ?

Sur un autre plan, que pensez-vous de l'héritage que porte le vélo ? Est-ce que le lien avec le cheval est si évident, ou le vélo n'a t-il pas d'antériorité ?
Voici quelques unes des questions pour lesquelles votre avis me serait d'un grand intérêt.
Cordialement
PLV

Réponse

Bonjour,

(...) Je vous livre mon point de vue.
D’abord, à titre personnel et même si je suis plutôt dans ma vie privée, partisane de la décroissance, je n'utilise pas de vélos (parce que j'ai peur à Paris !, et pas plus de voiture d'ailleurs parce que je ne sais pas conduire ...) mais exclusivement les transports en commun.
Par contre, mon compagnon utilise les 2 mais évidemment pour des itinéraires et des fonctions très différents et la première réflexion que je me fais c'est que si personne ne s'est vraiment intéressé au vélo en terme de design, c’est que cela ne rapporte rien.
Je crois foncièrement que tout est affaire d’économie. Pour s’occuper de design sur un produit, il faut qu’un industriel investisse là-dedans et pour qu’il investisse, faut que cela lui rapporte. Par rapport à ce que coûte une voiture : coût à l’achat, assurance, essence, contrôle technique, réparations diverses … le vélo fait pâle figure ! ne pas s’occuper du vélo c’est d’abord ne pas détrôner la voiture.
Pour moi, le problème est un peu identique à celui des transports en commun (que je connais mieux donc) car hormis le tramway, pour le reste, je suis toujours désolée de voir à quel point les gares, bus, métro et autres RER sont sordides ! La raison est à mon sens à peu près la même. Il n’y a pas d’enjeu économique majeur. Ce qui est différent du fait que nous soyons des millions à l’utiliser puisque de façon globale ce sont des millions de gens modestes. Et lorsqu’il y a un semblant d’effort, cela donne le TGV « décoré » par Christian Lacroix qui est pour moi raté justement parce que c’est de la décoration.
Je n’ai pas vu le film mais ce que vous citez dans votre site internet de « Chomsky et compagnie » : où  il y est question de la "fabrique du consentement" ou comment en démocratie, les décisions que l'on croit prendre de façon libre sont souvent préfabriquées ou nous sont finalement imposées. » et je rajouterais, par le marché, est à mon avis l’explication.
Bref, à mon avis, la voiture a encore de très beaux jours devant elle. Preuve en est, ce que le secteur automobile morfle avec la crise, montre son importance dans la société.
Ensuite, je crois que l’histoire prouve que toutes les avancées de la société sont du fait d’une classe sociale particulière, depuis la révolution : la bourgeoisie. Cultivée, pouvoir d’achat confortable et très insérée socialement. Ce ne sont ni les grandes fortunes ni la classe ouvrière mais bien la classe moyenne aisée qui a le pouvoir de changer les choses. Pour les premiers, ils sont évidemment trop accrochés à leur privilège, pour les derniers, impuissant. Par contre, la classe moyenne est celle qui va inaugurer le loft comme appartement par exemple ou donner son essor aux produits bio. Mais c’est une classe sociale qui a de moins en moins de pouvoir et se précarise fortement.
C’est aussi celle, et ce sera le troisième point important à mon sens qui va fonctionner en terme d’images et d’imaginaire. (pour les grandes fortunes ou la classe ouvrière, je ne dis pas que l'imaginare est absent mais elles ont déjà les leurs). Alors là on en vient au domaine médiatique, soit le partenaire majeur de l’économie. C’est bien les médias qui aujourd’hui façonne notre imaginaire. Dans une conférence, j'ai évoqué le livre de Christian Salmon « Storytelling » ou l’art de raconter des histoires, qui raconte comment aujourd’hui, cette activité est au cœur des stratégies politiques, médiatiques et économiques. De la deuxième campagne de Bush en passant par l’entraînement des soldats ou encore au plan social dans telle entreprise, il raconte comment tout passe par le fait de « raconter des histoires ».
Il n’y a qu’à voir encore une fois l’imaginaire qui entoure la voiture ! Alors que force est de constater qu’il n’y a pas de publicité pour le vélo à la télévision tout simplement …
L’imaginaire qui entoure le vélo est plutôt désuet : le facteur, Jacques Tati, la détente en famille le dimanche, le tour de France. Mais cela s’arrête là.
Je suis d’accord sur l’impératif de le rendre désirable et surtout d’envisager un scénario qui le déplacerait de la campagne à la ville. Il faut une vision neuve qui l’ancre de façon utilitaire et agréable (donc désirable) dans la ville et Vélib n’y suffira pas, par contre c’est un bon début !
A votre question du rôle du design ou de l’affaire de la démarche marketing/publicité, en fait cela n’ira pas l’un sans l’autre et on sait désormais que c’est bien le marketing qui fait tout.
Alors je crois que pour effectivement faire en sorte que les gens aient plus envie de prendre leur vélo plutôt que leur voiture, il faut travailler sur "l’envie". Il y a un scénario à inventer autour du vélo et un imaginaire nouveau. Et qui ne le cantonne pas seulement à "un truc à la mode pour citadin stressé".
 
Sur votre dernière question de l’héritage du vélo, du lien avec le cheval, je ne saurais pas vous répondre. Par contre, j’ai posé la question à mon responsable et selon lui, on ne peut pas aller plus loin avec le design du vélo, il pense que tout a été fait et tenté et que la forme reste sensiblement la même parce qu’il n’y en a pas d’autre possible.
Mais ce point de vue n’exclut pas le fait qu’il faille réinventer une histoire autour du vélo qui l’ancre vraiment dans le monde du XXI° siècle entre urgence écolo bien sur mais aussi « geste glamour » !
En espérant vous avoir un peu répondu ?
Très cordialement.
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