Question
(...) Je salue
le fait que grâce au vélo partage, de plus en plus de
personnes utilisent des vélos. Mais je pense que le vélo
s'est développé chez ceux qui étaient
déjà prêts. Or pour passer à l'étape
supérieure (que certains automobilistes, qui le peuvent, passent
au vélo) je soutiens que le vélo doit se montrer plus
désirable, c'est-à-dire qu'on ait plus envie d'avoir et
de faire du vélo en ville que de prendre sa voiture.
Pensez-vous que le design pourrait jouer ce rôle, ou est-ce que
ce sera seulement l'affaire de la démarche
marketing/publicitaire qui ferait qu'on ait envie de faire du
vélo parce qu'untel en fait, ou qu'on le voit dans un film ou
sur des affiches ?
Sur un autre
plan, que pensez-vous de l'héritage que porte le vélo ?
Est-ce que le lien avec le cheval est si évident, ou le
vélo n'a t-il pas d'antériorité ?
Voici quelques unes des questions pour lesquelles votre avis me serait d'un grand intérêt.
Cordialement
PLV
Réponse
Bonjour,
(...) Je vous livre mon point de vue.
D’abord, à titre personnel et même si je suis
plutôt dans ma vie privée, partisane de la
décroissance, je n'utilise pas de vélos (parce que j'ai
peur à Paris !, et pas plus de voiture d'ailleurs parce que je
ne sais pas conduire ...) mais exclusivement les transports en commun.
Par contre, mon compagnon utilise les 2 mais évidemment pour des
itinéraires et des fonctions très différents et la
première réflexion que je me fais c'est que si personne
ne s'est vraiment intéressé au vélo en terme de
design, c’est que cela ne rapporte rien.
Je crois foncièrement que tout est affaire
d’économie. Pour s’occuper de design sur un produit,
il faut qu’un industriel investisse là-dedans et pour
qu’il investisse, faut que cela lui rapporte. Par rapport
à ce que coûte une voiture : coût à
l’achat, assurance, essence, contrôle technique,
réparations diverses … le vélo fait pâle
figure ! ne pas s’occuper du vélo c’est
d’abord ne pas détrôner la voiture.
Pour moi, le problème est un peu identique à celui des
transports en commun (que je connais mieux donc) car hormis le tramway,
pour le reste, je suis toujours désolée de voir à
quel point les gares, bus, métro et autres RER sont sordides !
La raison est à mon sens à peu près la même.
Il n’y a pas d’enjeu économique majeur. Ce qui est
différent du fait que nous soyons des millions à
l’utiliser puisque de façon globale ce sont des millions
de gens modestes. Et lorsqu’il y a un semblant d’effort,
cela donne le TGV « décoré » par Christian
Lacroix qui est pour moi raté justement parce que c’est de
la décoration.
Je n’ai pas vu le film mais ce que vous citez dans votre site
internet de « Chomsky et compagnie » : où il y
est question de la "fabrique du consentement" ou comment en
démocratie, les décisions que l'on croit prendre de
façon libre sont souvent préfabriquées ou nous
sont finalement imposées. » et je rajouterais, par le
marché, est à mon avis l’explication.
Bref, à mon avis, la voiture a encore de très beaux jours
devant elle. Preuve en est, ce que le secteur automobile morfle avec la
crise, montre son importance dans la société.
Ensuite, je crois que l’histoire prouve que toutes les
avancées de la société sont du fait d’une
classe sociale particulière, depuis la révolution : la
bourgeoisie. Cultivée, pouvoir d’achat confortable et
très insérée socialement. Ce ne sont ni les
grandes fortunes ni la classe ouvrière mais bien la classe
moyenne aisée qui a le pouvoir de changer les choses. Pour les
premiers, ils sont évidemment trop accrochés à
leur privilège, pour les derniers, impuissant. Par contre, la
classe moyenne est celle qui va inaugurer le loft comme appartement par
exemple ou donner son essor aux produits bio. Mais c’est une
classe sociale qui a de moins en moins de pouvoir et se
précarise fortement.
C’est aussi celle, et ce sera le troisième point important
à mon sens qui va fonctionner en terme d’images et
d’imaginaire. (pour les grandes fortunes ou la classe
ouvrière, je ne dis pas que l'imaginare est absent mais elles
ont déjà les leurs). Alors là on en vient au
domaine médiatique, soit le partenaire majeur de
l’économie. C’est bien les médias qui
aujourd’hui façonne notre imaginaire. Dans une
conférence, j'ai évoqué le livre de Christian
Salmon « Storytelling » ou l’art de raconter des
histoires, qui raconte comment aujourd’hui, cette activité
est au cœur des stratégies politiques, médiatiques
et économiques. De la deuxième campagne de Bush en
passant par l’entraînement des soldats ou encore au plan
social dans telle entreprise, il raconte comment tout passe par le fait
de « raconter des histoires ».
Il n’y a qu’à voir encore une fois
l’imaginaire qui entoure la voiture ! Alors que force est de
constater qu’il n’y a pas de publicité pour le
vélo à la télévision tout simplement
…
L’imaginaire qui entoure le vélo est plutôt
désuet : le facteur, Jacques Tati, la détente en famille
le dimanche, le tour de France. Mais cela s’arrête
là.
Je suis d’accord sur l’impératif de le rendre
désirable et surtout d’envisager un scénario qui le
déplacerait de la campagne à la ville. Il faut une vision
neuve qui l’ancre de façon utilitaire et agréable
(donc désirable) dans la ville et Vélib n’y suffira
pas, par contre c’est un bon début !
A votre question du rôle du design ou de l’affaire de la
démarche marketing/publicité, en fait cela n’ira
pas l’un sans l’autre et on sait désormais que
c’est bien le marketing qui fait tout.
Alors je crois que pour effectivement faire en sorte que les gens aient
plus envie de prendre leur vélo plutôt que leur voiture,
il faut travailler sur "l’envie". Il y a un scénario
à inventer autour du vélo et un imaginaire nouveau. Et
qui ne le cantonne pas seulement à "un truc à la mode
pour citadin stressé".
Sur votre dernière question de l’héritage du
vélo, du lien avec le cheval, je ne saurais pas vous
répondre. Par contre, j’ai posé la question
à mon responsable et selon lui, on ne peut pas aller plus loin
avec le design du vélo, il pense que tout a été
fait et tenté et que la forme reste sensiblement la même
parce qu’il n’y en a pas d’autre possible.
Mais ce point de vue n’exclut pas le fait qu’il faille
réinventer une histoire autour du vélo qui l’ancre
vraiment dans le monde du XXI° siècle entre urgence
écolo bien sur mais aussi « geste glamour » !
En espérant vous avoir un peu répondu ?
Très cordialement.
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