Je suis très revigoré par le texte suivant extrait de la Lettre Nature Humaine
n°5 juin 2009 qui cite le renouveau de la pratique du vélo
avec des mots qui font écho au sentiment de faire partie de ces
"pionniers". J'y vois aussi une forme de caution pour mon travail
d'encourager le vélo par la mise en place d'un désir mais
aussi, malgré des signes encourageants, l'ampleur de ce qui
reste à accomplir pour passer à une "culture vélo
pérenne" en France :
Les pionniers du vélo
Selon la sociologue Anaïs Rocci, le vélo ou le co-voiturage
constituent bien des "innovations". Ainsi, ceux qui
depuis plusieurs décennies ont adopté ou conservé,
malgré le dictat de la voiture et une voirie peu accueillante
aux deux roues, la pratique de la bicyclette, sont des pionniers. Ils
ont pris un risque au départ, en s’aventurant, seuls, en
vélo dans le système du tout-automobile. Les groupes de
pressions (politiques et scientifiques), les associations, et certaines
autorités publiques avant-gardistes (comme la ville de Lyon avec
ses Vélov’, puis Paris), dont le rôle a
été de faire entendre la nécessité du
changement dans nos modes de déplacement, pourraient
représenter les premiers adoptants. Ils opèrent un
soutien vigilant, font connaître les enjeux et ces nouveaux modes
de déplacement et mettent en place les premières
alternatives concrètes. Ensuite les majorités
précoces et les majorités tardives sont les personnes qui
se sont mis à ces nouveaux usages, grâce par exemple
à la mise en place des Vélov’ et des
Vélib’ et de voiries adaptées. Avec là
encore une gradation dans l’adoption, des plus
téméraires aux plus frileux.
Les retardataires, représenteraient ceux qui font toujours usage
de leur voiture au quotidien alors qu’ils pourraient s’en
passer ; ils ne sont pas contre le changement, mais peinent à
modifier leurs pratiques, pour des raisons plus ou moins bonnes (voir
sur nos « stratégies pour ne pas changer » la Lettre
n°2). Car aujourd’hui l’automobile est encore bien
ancrée dans les mentalités comme le mode dominant, et
représente toujours la norme sociale de mobilité. Enfin,
les réfractaires sont ceux qui s’opposent au changement,
et qui ne veulent pas être restreints dans
l’utilisation de leur voiture.
Créer la norme par la résistance ?
Ainsi, dans un premier temps, l’innovation peut se heurter
à l’ordre établi. Cela n’a pas
été le cas pour Internet ou le téléphone
portable, innovations à diffusion très rapide, sans doute
par leur lien à la modernité, à la technologie et
à leur aspect pratique immédiatement identifiable.
C’est le cas par contre des changements exigés par la
crise écologique qui bouleversent trop les habitudes, la culture
et la société dans son ensemble. Aussi, le sociologue
Norbert Alter s’est-il interrogé sur la manière
dont la norme s’inverse et comment des comportements individuels
minoritaires en viennent à transformer des conduites
collectives.
Reprenant les travaux de Serge Moscovici, il montre que la
minorité « pionnière » doit être
consistante, prête à vivre le conflit et disposer
d’arguments cohérents pour convertir la majorité
des individus. Car Serge Moscovici explique que, paradoxalement,
l’un des ressorts de l’influence minoritaire est
qu’au départ, la majorité réfractaire trouve
ses propositions utopiques, voire absurdes, ce qui crée une
résistance forte au changement. Une minorité
pionnière sur un sujet polémique ne pourrait donc
influencer que si elle rencontre une résistance. Car la
résistance suscite le débat, la confrontation, permet
à l’innovation d’arriver sur la place publique, d’être soumise à la critique
et donc au débat d’opinion, et ainsi d’entrainer les
premiers positionnements individuels et collectifs. Souvent, explique
Serge Moscovici, la première génération
« perd », et c’est la seconde
génération qui verra son « innovation »
mieux acceptée. Car c’est l’action
répétée de ces acteurs pionniers qui donnerait
sens à une invention et la transformerait alors en innovation
sociale. Beaucoup d’utopies sont ainsi devenues des
banalités.
Donner sens et usage aux nouvelles pratiques
L’étude en sociologie de la dynamique sociale
d’adoption et d’acquisition des « innovations »
montre que l’acceptation et la diffusion d’une
nouveauté supposent en outre des conditions sociales «
favorables ». Car, selon le sociologue Norbert Alter, « le
développement d’une innovation ne repose aucunement sur la
qualité intrinsèque des inventions, mais sur la
capacité collective des acteurs à leur donner sens et
usage ».
(Ré)-interpréter le nouveau comportement
La sociologue Anaïs Rocci explique en effet qu’une des
conditions sine qua non de l’appropriation d’un nouveau
comportement par la société est
l’interprétation qui en est faite, car « c’est
dans la mesure où l’innovation peut être
réinterprétée selon les normes sociales
traditionnelles qu’elle est acceptée ». Ce qui
permet l’acceptation de l’innovation, « c’est
la possibilité de la réinventer, de lui redonner du sens,
et il y aurait une période de latence inévitable,
temps nécessaire pour parvenir à imaginer des usages
», poursuit Anaïs Rocci.
Les cas du vélo et du tramway sont exemplaires, car ce sont des
modes de déplacement anciens dont les codes
d’appropriation et les usages ont varié au fil
du temps. « En effet, si le vélo et les transports en
commun ont été connotés négativement avec
la montée en puissance de l’automobile, symbole de
modernité et de richesse », explique Anaïs Rocci,
« il est aujourd’hui envisagé de les
réintégrer en leur conférant des valeurs positives
quant à l’environnement et en mettant
parallèlement en exergue les externalités
négatives de l’automobile ». Vitesse et
simplicité de déplacement, re-découverte de la
ville, modernité, mise en forme, sentiment d’appartenance à une
communauté, confort du trajet, soucis financiers ou
écologiques, chacun s’approprie le vélo ou le
tramway à sa manière.
Vers une nouvelle norme sociale
Que cette réinterprétation ait lieu serait un signe de
bon déroulement du processus de diffusion de l’innovation
voire de sa réussite, et par ailleurs un gage de sa
pérennité. « Ce qui était conçu
initialement comme marginal, voire déviant, devient alors une
nouvelle norme sociale », explique Anaïs Rocci. Or, «
le nouvel objet pourra être accepté par la
société une fois qu’il sera inscrit dans les normes
sociales ». Son usage doit en effet devenir
légitime, évident et ressenti comme une pratique
obligatoire et normalisée.
Cette question de
"nouvelle norme sociale" qui succède à une pratique
dépassée fait écho aux opérations de
"critical mass" organisées par des associations militantes du
développement du vélo (se réclament du mouvement
Vélorution en France) : certains jours donnés, des
cyclistes se donnent rendez-vous, attendent d'être assez nombreux
puis s'engagent dans la circulation. A un certain moment,
par effet de nombre, les voitures sont minoritaires. Il s'agit
là de mettre en évidence la notion de seuil à
partir duquel la balance penche en faveur du vélo.
Ce type d'opération vise à interpeller les automobilistes
en les faisant passer pour "retardataires" voire "rétrogrades"
et ainsi encourager leur "conversion" au vélo.
Liens : voir Vélorution - masse critique - blog antivoiture...
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