Traité de vélocipédique élégance
Pierre-Luc Vacher - 19/05/08
L’histoire du vélo, au gré des inventions techniques
Je ne cherche à abuser personne : au commencement, ce n’est pas un souci d’élégance qui a guidé la création du vélocipède mais bien la question de se déplacer de façon autonome d’un point à un autre plus vite qu’un cheval comme nous le voyons dans cette rapide présentation de l’origine du vélo. Cela n’empêche aucunement d’analyser les formes que les réponses à cette question ont prises.

La draisienne ou la « machine à courir »
 
draisienne
L'inventeur (1) de l'ancêtre de la bicyclette moderne est le baron Carl Drais von Sauerbronn. Originaire d'Allemagne, il développe sa machine entre 1816 et 1818, et la présente à Paris au printemps 1818. En dépit des critiques des débuts et des déboires de Drais qui mourut sans un sou, la draisienne connaît un grand succès qui dépasse l’Europe.
Sa forme est purement fonctionnelle et ne ressemble à rien de connu dans la nature par exemple. Même si différentes versions lui donnent un aspect animal (tête sculptée à l’avant, forme de cadre aux lignes courbes imitant le serpent ou de cygne).  Elle a plus à voir avec un outil agricole car faite de bois, lourde et grossière. Le fait que des écoles de « conduite de draisienne » se mettent en place, calquées sur les écoles équestres, souligne le côté « anti-naturel » de la maîtrise de l’équilibre sur deux roues. Malgré cela, la forme très simple de profil est facilement compréhensible : deux roues encadrant l’homme droit au milieu. Une grande différence avec les vélos d’aujourd’hui est que les utilisateurs de draisienne « courent », les gravures les montrent jambes tendues. Des versions au cadre surbaissé un peu comme des patinettes étaient conçues pour les femmes, toutes en jupes à l’époque.
(1) Bt avant la draisienne ? Le vélocifère ?
Certaines histoires du vélo font remonter l’ancêtre du vélo à certains dessins de Léonard de Vinci mais son projet est resté à l’état d’ébauche. Par contre on trouve encore parfois la mention du « vélocifère » qui serait antérieur à la draisienne. En juillet 1976, dans Cyclisme-Magazine, Jacques Seray dévoila que l'histoire du cycle écrite par Baudry de Saunier en 1891 commençait par une erreur. Célérifère et Vélocifère étaient présentés comme les ancêtres de la draisienne (contre-vérités reprises même par le dictionnaire Larousse à l'époque). Jacques Seray dans ses recherches découvrit que ces engins étaient des calèches. Est-ce par anti-germanisme ou par mauvaise documentation que Baudry de Saunier se trompa ? En tout cas, il fallut attendre 85 ans, pour que la vérité fut remise à plat.
Le vélocipède et l'introduction de la pédale
 
Paris, mars 1861 : un chapelier apporte à Pierre Michaux, serrurier, une draisienne à la roue avant défaillante pour réparation. L'un de ses fils Ernest l'essaye et se plaint du désagrément qu'il éprouve une fois lancé pour garder les jambes levées. Pierre suggère alors de poser des repose-pieds, ou plutôt "un axe coudé dans le moyeu de la roue" qui le fera "tourner comme une meule". Ainsi une invention simple mais primordiale vit le jour : la pédale. Le "Vélocipède" était né.
Sur la « Michauline », on remarque l’enroulement du morceau de fer à l’avant, détail dérivé de la conception des voitures à cheval pour éviter la dangerosité que représenterait ce même embout s’il restait pointu : ce détail ne naît donc pas complètement d’une recherche esthétique. Cependant la forme est emprunte d’un certain équilibre qui compense le poids de la machine. La position du cycliste est droite mais les jambes sont vers l’avant et forment des moulinets pour faire tourner la roue.
Le vélocipède des Michaux constitue un vrai succès commercial : deux vélocipèdes sont fabriqués en 1861, 142 en 1862, et 400 en 1865. Une véritable industrie naît. Le premier "salon commercial du vélo", ainsi que la première "publication cycliste", débutent en France en 1869. En cette même année, a lieu une course de 130 km entre Paris et Rouen, où participent 203 cyclistes.
Avec l’apparition des cadres creux et donc plus légers, des selles souples, des pédales ajustables, des jantes garnies d’une enveloppe de caoutchouc, des freins, le vélocipède devient à la fois plus pratique et plus élégant. De multiples modèles variés sont fabriqués. La guerre de 1870 met fin à l’industrie naissante qui s’est développée en France et en Allemagne. La Grande-Bretagne reprend le flambeau avec l’arrivée du Grand Bi.
vléocipède
Le grand Bi

grand bi en bois
Dans les années 1870, un anglais nommé James Starley améliore le concept du vélocipède en le munissant d'une très grande roue à l'avant, ce qui permet d'atteindre de plus grandes vitesses (à gauche grand bi en bois). En 1874, il a le premier l'idée d’utiliser pour les roues des rayons de broche métallique sous tension, plutôt que des barreaux de bois ou de métal. Le patron de laçage de ces rayons est "tangentiel" plutôt que radial, ce qui permettait une meilleure absorption des vibrations causées par la route, une plus grande résistance aux chocs, et plus grande capacité à canaliser l'énergie que génère le pédalage, le tout sur une roue relativement plus légère (concept de roue toujours en vigueur sur les bicyclettes actuelles). Certains modèles de courses ne pèsent alors pas plus de 5 kg (modèle en acier en haut à droite). On arrive à ce rapport : le poids en livres anglaises égale la taille mesurée en pouce soit 50 pouces (1,27 m) = 50 livres (24 kg).
grand bi acier
Cependant, l'hypertrophie de la roue avant (on arrivera à des roues de 1,5 m de diamètre) pose des problèmes de sécurité : la "Renard" fait même 3 m de haut !

Dès le grand Bi, la bicyclette devient aérienne, féminine, légère. Là encore la fonction prime mais quelques détails révèlent néanmoins un souci d’élégance (travail de la forme des guidons, forme des selles…).

La transmission par chaîne

La hantise des chutes impose le besoin d'engins plus proche du sol. La première bicyclette(3), (officiellement baptisée ainsi car plus petite que le grand Bi) équipée d'un système de transmission de la force du pédalage par "chaîne" du pédalier vers la roue arrière, aurait été inventée en 1879 par un certain Henry J. Lawson. Incapable de monter sur un Grand Bi vu sa petite taille, il conçoit un système de traction arrière activé par une chaîne sur des roues de 1 m de diamètre à l’avant et de 61 cm à l’arrière ce qui rend la machine plus fiable et maniable mais son invention, pendant que la popularité du Grand Bi est en plein essor, ne connaît pas de succès commercial.
C'est en 1884, que John Kemp Starley, neveu de James, met sur le marché le "Rover Safety Bicycle", ou la bicyclette de "sureté", car plus sûre que le Grand Bi. Avec le "Rover", LA bicyclette moderne est née.
 
Par la suite, les autres fabricants reviennent eux-aussi à des dimensions plus raisonnables. Le modèle Whippet à roues égales (ci-contre) s'impose vers la fin des années 1880.
(3) Bicyclette ou vélo
Le terme "bicyclette" est né en Angleterre, découlant du vocable bicycle, auquel on a accolé un diminutif de nature française. Toutefois le mot bicyclette n'a pas été forgé par Lawson, ainsi qu'on le dit souvent. En tout cas, il n'apparaît pas dans son brevet de 1897. Ce n'est que plus tard qu'on le trouvera sur des catalogues avec "The Rudge Bicyclette Dwarf Safety". Exporté, le terme trouvera son succès en France."      
Bien que le terme « vélocipède » fut attribué dès la fin du 19e  à l’engin des frères Michaux (de véloce = rapide et pède = pied), c’est le terme bicyclette qui prédomina en France jusqu’à l’arrivée du diminutif « vélo » dans les années 1980.


le rover
Un nouveau rapport cadre / roues

La taille des roues diminuant, la forme arrondie perd sa prépondérance dans la silhouette du vélo : les tubes de liaison entre les roues deviennent en contre coup plus visibles.
L’arrivée du pédalier crée une certaine confusion dans la forme : à l’équilibre initial des deux roues se superpose une troisième « roue » (le pédalier) plus petite mais non centrale. Curieusement, cette arrivée du pédalier fige la silhouette du vélo (à comparer avec la variété des propositions des différentes draisiennes et des vélocipèdes) : ci-contre un vélo dans une réclame de 1903.
1903
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