Traité de vélocipédique élégance
Pierre-Luc Vacher - 7/11/17
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À la recherche du beau
vélo |
Passionné des
belles
choses, mais déçu par les formes habituelles des
vélos courants que je croise, je pars ici à la
recherche
du "beau vélo".
En faisant des recherches pour cet essai commencé en 2006, j'étais très étonné de trouver le terrain des
thèmes "vélo", "design " et
"élégance"
assez vierge. À l'époque, il n'y avait pas
encore les sites d'agrégation d'images comme Pinterest, Flick'r et
autres qui fournissent maintenant des kilomètres d'images de vélos,
comme autant de source d'inspiration pour les amateurs de vélos comme
moi. Je pense toutefois que ce site a encore sa place aujourd'hui plus de 10 après et pourra
permettre à certains d'étendre leur réflexion.
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Un beau vélo, quelle importance ?
Je pars sur l'idée
qu'un objet beau est attractif et donne envie de le posséder ou de
l'utiliser. On l'aura compris, je défends ici l'idée que des jolis
vélos bien dessinés contribueront à développer leur utilisation au
quotidien (cette hypothèse n'a rien de révolutionnaire : les fabricants
automobiles dépensent des fortunes dans le design des modèles !).
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Le beau
vélo
Il est difficile de parler d’'esthétique et
d’'élégance tant ces notions
relèvent de la plus grande subjectivité aussi je
tenterai
de donner des
détails argumentés pour préciser mon
point de vue.
Bien sûr, une bicyclette est avant tout un outil, efficace
(1),
pour se
déplacer d’'un point à un autre,
principalement
pour
les petits trajets
mais aussi faire le tour du monde. Mais rien n’'interdit au
concepteur
de vélo de joindre l’'utile à
l’'agréable et d’'oser
inventer des
trouvailles dans le dessin du départ, dans la couleur. Cette
recherche
n’'est pas nouvelle, le simple mobilier des lointains
africains
révèle
aussi cette double démarche : utile et beau à la
fois.
Un vélo comme le VTT est, en principe, robuste, fiable et
efficace. Mais
cela suffit-il ? Sans relancer l’'éternel
débat
"la forme suit la fonction", le traditionnel cadre en losange
est-il
indépassable ?
La forme du vélo est-elle si définitivement
parfaite pour
qu’on ne puisse la réinventer et la faire
évoluer
?
Parmi les types de vélos qui semblent au moins un peu
avoir
l’'ambition de plaire, on constate me semble t-il peu
d’'imagination de la part des designers, et les
vélos
semblent n’'être plus que des cadres supportant des
accessoires (guidons, portes bagages, selles...) sans aucune vraie
réflexion d’'ensemble, ni même parfois
de souci
esthétique : les cadres restent bien souvent droits, non reliés aux
autres, les accessoires ne sont généralement pas intégrés dans la
conception de la forme générale...
Pourtant, relier les lignes, intégrer des
éléments secondaires avec
l'élément
principal sont les principes de base des designers.
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(1)De
l’'efficacité du vélo /énergie dépensée
Par rapport à la marche à pied, le vélo
est trois fois plus efficace à effort égal et
entre trois et quatre fois plus rapide. On a également
calculé qu'en termes de conversion en mouvement de l'énergie
issue de la nourriture, il s'agit d'une forme de locomotion
plus efficace que celle de n'importe quel organisme biologique
(l’'organisme biologique le plus efficace au kilomètre
est le martinet et le second est le saumon).
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À
la décharche des fabricants de vélos, la forme d'un vélo est complexe
et semble bien sortie de nulle part avec cet assemblage de formes (des
cercles et des triangles) : ni d'une boite comme une voiture, ni d'un
oiseau comme un avion, ni d'un geste primitif (comme chercher à
s'asseoir a conduit à inventer la chaise).
Une
référence ancienne s'avère
difficile à trouver pour le vélo : faut-il chercher une analogie avec
un
cheval chevauché par un homme comme certains termes communs
pourraient le laisser supposer : "hobby horse", enfourcher, selle,
monture...? Pourtant, rien de l'équidé n'est repris dans la
forme des cadres : si le guidon est une "tête", celle-ci est dirigée
vers l'arrière, celle du cheval l'est vers l'avant, la largeur
de la selle et du vélo est très fine/ le cheval est
large, le vélo a des roues/ le cheval, des pattes, le vélo a des formes
anguleuses / le cheval a
des formes plutôt fluides...
Un extrait de film où passait un carrosse de profil
me permet d'avancer une hypothèse : la forme du
vélo découle non pas du cheval ni du carrosse mais de
l'ensemble "cheval + carrosse", avec le cocher au centre
remplacé par le cycliste ! Mais,
peut-être faut-il s'en tenir à ce que j'ai d'abord pressenti : le vélo
d'aujourd’'hui ne "s'origine" que dans le vélo d'hier et c'est sans
doute ce qui explique sa structure figée à travers le temps : deux
roues, dont une fixe, assemblées par un cadre droit sur lequel on
s’assoie. Et ce serait la raison pour laquelle cette forme n'a pas (ou
peu) évolué (voir les deux images à droite).
Pour comprendre le contexte de l'évolution
de la bicyclette de son origine à nos jours, je
recommande ici la lecture de cette page :
voir
histoire du vélo
Ceux qui maîtrisent ces questions peuvent poursuivre
la lecture.
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Cherchez les différences
Ci-dessus un vélo
de 1903 et ci-dessous un vélo de 2003 : à mes yeux, les accessoires,
le cadre abaissé à l'arrière, le guidon
plus haut, ne constituent pas des éléments fondamentalement
différents.
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Des
modifications, peu de changements
Les manuels d'histoire du cyclisme affirment que
la bicyclette a plus connu d'innovations technologiques entre
1985 et 1995, qu'elle n'en a connu entre 1915 et 1985 (systèmes
de changement de vitesses "indexés", les suspensions,
l'utilisation de nouveaux matériaux comme l'aluminium,
le titane et les fibres de carbone).
Certes, mais ces innovations ne
portent pas sur le cadre et ne modifient pas la forme
générale des vélos qui semble conduite surtout par
les notions d'efficacité et de performance plus que par
l'esthétique : à part la version homme et femme, la forme
"classique" inventée en 1888 est restée inchangée.
Pour être tout à fait complet, je n'oublie pas de signaler
le fait qu'aujourd'hui existe une grande variété de
modèles pour des vélos à usage
spécialisé, qui n'existaient pas il y a un siècle.
voir
les différents types de vélos
Mais si je m'en tiens au vélo de ville
à usage quotidien, ma théorie se vérifie (voir les
vélos 1903 et 2003 ci-dessus à droite, et les pages
"histoire du vélo" et "les différents types de
vélos" citées plus haut).
Pour moi, c'est un constat assez désolant parce que cette
forme "classique", aussi bien dans sa version ancienne que réactualisée,
me paraît assez pauvre esthétiquement parlant et
cultive le paradoxe d'avoir perdu une certaine forme d'élégance
légère tout en restant très proche des
anciens modèles qui eux semblaient plus élancés.
En fait, de mes recherches il ressort que les innovations liées
au vélo ont toutes été tournées
vers l'efficacité, le rendement et l'utilité.
D’une certaine façon, c'est assez normal quand
tout ce qui est ajouté sur un vélo augmente sa
masse donc l'effort à fournir pour le déplacer.
La recherche plastique autour du vélo s'est donc bornée
à intervenir sur la couleur, le vernis, quelques accessoires
(phare, porte-bagages), comme si toucher à la forme globale
du vélo risquait de mettre en péril l'équilibre
ou l'efficacité, comme si on ne pouvait pas dépasser
le mythe de la forme fonctionnelle qui se suffit à elle-même.
Une autre explication possible est le peu d'intérêt
pour le développement du vélo en France, la recherche
esthétique s'étant focalisée sur les deux-roues motorisés
(scooter, moto...) ou les voitures.
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Phare
avant sur un vélo actuel
comme exemple d'une réflexion
très réduite sur le design vélo : l'accessoire
"moderne" sur un vélo
qui ne change pas semble plaqué.
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Sommes-nous
donc condamnés à cette forme classique et
figée du
vélo, anguleuse et quelquefois peu
équilibrée ?
Les nouveaux vélos à assistance
électrique (VAE
ci-contre) que l'on commence à croiser dans les rues
tendraient
à le laisser croire : ils ne font bien suvent qu'adapter
légèrement les cadres pour permettre
l'installation du
moteur et des batteries. Le résultat est peu imaginatif et
peu
convaincant (ex. ici décalage vers
l’arrière de la
roue motrice). |
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Mon "beau vélo"
idéal
J'ai rassemblé ici quelques éléments
qui me
paraissent indispensables à une définition
d'un beau vélo. Certains éléments font
partie du
vélo lui-même, d'autres sont issus des
réglages.
Je
précise ici que ma recherche
s’'intéresse
principalement aux vélos de déplacements urbains et pour les deux sexes. |
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a- Éléments
liés au vélo
lui-même :
- la fluidité des lignes
pour accompagner la rondeur des roues,
- un même style sur un même vélo
: éviter les accessoires dépareillés, de génération différente par ex. (voir aussi les remarques sur les
recommandations autour du style du vélos et du style
vestimentaire dans la partie II). Un guidon original et qui reste dans
le style peut faire toute la différence par exemple.
- des accessoires bien
intégrés : ex. le porte-bagage qui
fait
pièce rapportée sur un vélo dont tout
le reste
semble bien pensé : le fabricant de porte-bagage
démontable pense t-il vraiment que le porte bagage va
être
démonté, changé ou remplacé
? |
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b- Éléments
liés aux réglages :
- la poignée de
guidon à
l’'horizontale, ci-contre
les deux même vélos dont le guidon est soit
à
l'horizontal (en haut) soit descendant (en bas), celui du haut s'impose
en équilibre, on pourrait même le trouver plus
"fier",
- un guidon plus haut que
la selle
(ce qui impose une tenue droite ou légèrement
penchée en avant : voir mes remarques sur
l'élégance à vélo dans la
partie II). Le
guidon plus haut que la selle est le digne héritier des
grands
Bis et dérivés (roues plus hautes à
l'avant). Les
roues sont aujourd'hui de taille identique à l'avant et
à
l'arrière mais la potence et le guidon peuvent
être
levées.
- une tige de selle ni trop
sortie, ni
trop basse : ce qui suppose d'avoir un vélo à sa taille. |
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c- Élément
à
classer dans les deux catégories précédentes :
- le
silence du vélo dépend
en effet de
la
conception du vélo, des matériaux mais aussi des
réglages du dérailleur, de la lubrification des
pièces. Même si un joli cliquetis
régulier de la
roue libre fait "chanter" le vélo, le silence est
à
rechercher, les bruits de grincements ou de frottement du
dérailleur témoignent d'un frottement anormal. |
Ces principes de base étant posés, vérifions maintenant si des vélos les respectent : mes recherches m'ont permis de vérifier que mes
préoccupations ne me sont pas personnelles et
qu'à
d'autres époques ou en d'autres lieux, d'autres se sont
posées les mêmes questions. Mieux,
certains ont
même tenté d'y répondre, je vous livre
ici quelques
exemples de formes de vélos différentes.
Des exemples de beaux vélos
- des
vélos
américains des années 50. A partir
des
années 30, les Américains utilisaient de moins en
moins
la bicyclette au profit de l'automobile et des motos. Les fabricants de
vélos se concentrèrent donc davantage sur
l'aspect
esthétique que sur l'aspect fonctionnel, s'inspirant de la
mode
art-déco et de ses formes aérodynamiques
(métal
brillant, lignes rondes). C'est le concept
développé dans
le "Streamline design". On remarque la fluidité de la ligne du cadre reliant l'axe de la roue arrière.
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On
retrouve aujourd’'hui ce style de vélo sous le nom
de
"rétro" ou "Cruiser" dans certaines marques
américaines
comme Raleigh ou Schwinn (ci-contre). C'est d'ailleurs assez
drôle de penser que ces vélos
représentaient la
modernité dans les années 50, alors
qu'aujourd'hui on les
appelle "rétro".
Curieusement ces vélos sont quasi inconnus en France. On en
trouve pourtant en Allemagne, probablement parce qu'ils sont venus
d'Amérique en même temps que le plan Marshall et
la
reconstruction allemande. On peut voir ces
vélos
dans le décor sensé être
parfait du film "The
Truman Show", ce qui n’est pas rien. Assez
proches pour moi de mon idée du vélo
idéal, tout
en courbes, finesse et équilibre, ils sont l'heureuse
découverte de ce dossier sur le beau vélo. Ils
répondent au souci d'intégrer les lignes de
rigidité dans un équilibre global. |
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- des vélos d'aujourd'hui dans certaines marques peu distribuées en
France
(ex. Bianchi en Italie ci-contre, Patria en Allemagne avec des
cadres plutôt droits mais inventifs à droite), |
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- des vélos
d'aujourd’'hui
dans la grande distribution ou des grandes marques : je
pense
qu'il faut en effet reconnaître cet effort de recherche chez
une enseigne comme Décathlon par exemple. Que cette recherche
esthétique se
fasse ou non au détriment de la qualité des différents
éléments n'est pas de mon ressort ici. Ex.
ci-contre : le
B'Twin dont la petite barre centrale semble s'inspirer de l'arrondi des
vélos américains tout en
déplaçant le
losange vers le bas, le rendant ainsi plus moderne. À droite dans la
marque Giant : la courbe du cadre vient épouser la roue
arrière dans une contre-courbe. Le pédalier est
avancé au milieu des deux roues ce qui donne un sentiment
d'équilibre. |
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- autres expériences
intéressantes (mais marginales) : le tuning ou
personnalisation du vélo. D'une certaine manière
ses
adeptes recherchent aussi leur image personnelle de beau
vélo. À
la différence des voitures que le tuning rend agressives, le
vélo modifié, lui, reste un vélo (au
pire il
s'alourdit et perd en praticité et en rapidité)
et retrouve un côté rétro sympathique
(en singeant
souvent le tuning moto au 2e degré). Les
résultats
esthétiques sont quelquefois bien imaginatifs et
intéressants. À part quelques modèles
très
farfelus voire lourdingues, on trouve dans cette catégorie
d’assez beaux modèles. |
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- La couleur
: la peinture de son vélo fait la plupart du temps partie de la
catégorie ci-dessus. C'est une manière assez peu couteuse de
transformer radicaement un vélo.
Certains
fabricants de vélos jouent néanmoins de la couleur des cadres pour se
distinguer des cadres habituels souvent (trop) richement dotés
d'autocollants à caractère sportif, des couleurs métalliques, des
grosses lettres plus ou moins agressives. Là encore, ce type de
peinture fait référence au monde du sport et la publicité qui va avec.
Mais volontairement ou non, cet excès de clinquant fait oublier les
lignes de vélo, comme s'il fallait camoufler le cadre (trop classique ?
trop neutre ?).
La distinction élégante va dans les directions opposées :
- la sobriété : les couleurs unies (souvent noir ou gris),
sans autocollants ni letttrages, ou en couleur vives non "métallisées"
(le "gris souris nacré" des Vélib entre dans cette catégorie, même si on peut le trouver triste),
- les gammes de couleurs qui s'accordent (en jouant avec le cadre et les accessoires (selle, porte bagages, poignées...)
- des couleurs vives et riches mais dans des codes couleur "design -
mode" et non pas "sport" (voir ci-contre un vélo Chok-technologic...
ditribué chez Go Sport (avec des gammes de casques colorés également).
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Un point sur les
vélos couchés
Les
connaisseurs
s'étonneront que j'oublie un peu vite les vélos
couchés : ce type de vélo représente
effectivement
un changement radical à la fois dans la position du "pilote"
que
dans la forme du vélo, mais malgré tout
l'intérêt que les utilisateurs y voient (vitesse,
confort)
cette expérience me semble marginale, peu pratique en ville
et
peu convaincante dans sa forme (grande chaîne et
pédalier
à l'avant très visible). Ci-contre deux exemples
assez
différents, le premier avec le guidon en haut, le second
avec le
guidon latéral. Le vélo du bas est mieux
dessiné
mais les jambes de l'utilisateur doivent être assez hautes
par
rapport au corps !
Et qu'en est-il des vélos du futur ? Voici page suivante la suite de la recherche du beau vélo.
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